jeudi 16 septembre 2010

OPUS MIXTUM (xv)

    
Quinzième chapitre:
  
Nombre d’entre nous songeaient à renoncer à la mission, voyant se défaire le mortier d’une culture basée sur la raison et les faits. Mais, même si le séisme m’avait un peu ébranlé, mon univers intérieur était assez vaste pour échapper aux fissures. Je recherchai du solide parmi la documentation pléthorique accumulée ces derniers temps, fruit d’incessantes révélations sur les richesses trouvées à bord.

C’est en cherchant à comprendre le fonctionnement du système thermique du vaisseau, que tout un pan de son l’architecture interne allait se dévoiler. En bref, ce qu’il faut savoir, c’est que la climatisation était assurée au moyen d’ondes sonores selon un procédé thermoacoustique décentralisé. L’origine de la source énergétique de ce système est à mettre en relation avec le moyen de propulsion lui-même, mais cet aspect d’une question d’ordre plus général est encore à l’examen.

Donc, suite aux travaux pour entamer les parois de tout un quartier, apparemment sans accès, du gigantesque navire spatial au moyen d’un excavateur à laser, puis d’un broyeur à azote liquide, des modifications de la température ambiante sont devenues perceptibles alors que certains instruments de mesure spectroscopiques étaient diversement influencés. Devant le gâchis que ces méthodes risquaient de provoquer, il fut alors décidé d’introduire une sonde à travers un trou pratiqué dans une paroi, puis de modifier, au moyen d’une pompe, la pression atmosphérique dans la cavité rencontrée en fonction des données mesurées : ce qui eut pour effet de déclencher l’ouverture de portes invisibles jusque-là.

A l’inventaire, constitué d’images en 3 dimensions de plusieurs objets mis à jour, je m’écrasai le nez sur l’écran faute de pouvoir tenir dans mes mains ces raretés que l’on ne connaissait plus que sous forme de légende : une collection de livres anciens ayant suscité convoitise et effroi à leur époque, ou au cours des siècles qui ont suivi. Même si le doute qu’il puisse s’agir d’apparitions virtuelles ou d’émanations psychiques demeurât en arrière-plan, je ne pouvais cesser de les faire pivoter sous toutes les faces, hypnotisé, exsangue.

Je ne sais s’il est indispensable d’en dresser ici  la liste, mais le besoin de partager l’émotion de la  découverte passe toute mesure. Dans une sorte de classement allant crescendo
sur l’échelle de la curiosité, voici ce que j’ai relevé parmi les ouvrages consacrés à l’alchimie, aux sciences occultes ou à la démonologie :

-       Merveilles de la Science, du Vieux Morryster
-      Saducismus Triumphatus, de Joseph Glanvill, édition de 1681
-      Daemonolatreia, de Remigius, imprimé en 1595 à Lyon
-       Hermès Trismegiste, dans l’édition de Ménard
-       Turba Philosophorum, auteur inconnu 
-       Liber Investigationis, de Gerber
-       Clef de la Sagesse, d'Artephius
-       Ars Magna & Ultima, de Raymond Lulle
-       Thesaurus Chemicus, de Roger Bacon
-       Clavis Alchimia, de Robert Fludd
-       De Lapide Philosophicode Trithermius
-       Poligraphia, de Trithermius
-       De Furtivis Literarum Notis, de Giambattista Porta
-       Traité des Chiffres, de Vigenère
-       Cryptomenysis Patefacta, de Falconer
-       Kryptographik, de Klüber
-       Le livre d’Eibon, auteur inconnu   
-       Unaussprechlichen Kulten,  de von Junzt
-       Le Livre de Dzyan, auteur inconnu   
-     Les Manuscrits Pnakotiques, auteur inconnu  

et, merveille d’entre les merveilles, le fabuleux Necronomicon de l’Arabe fou Abdul Alhazred, écrit vers 760 sous le titre original "Al Azif", puis traduit en grec vers 950 dans la version que nous connaissons par Théodore Philétas de Constantinople, et dont seuls cinq exemplaires ont échappé à la destruction voulue par le Patriarche Michel. Il n’est pas nécessaire de devoir en parcourir les pages pour que la stance mystérieuse, gravée dans la mémoire des amateurs du genre, ressurgisse dans un contexte particulièrement bien adapté à son évocation :

N’est pas mort ce qui à jamais dort

Et au long des siècles peut mourir même la mort.
   

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