vendredi 23 juillet 2010

OPUS MIXTUM (xi)

Onzième chapitre: questions pratiques pour chauffer les méninges

Des questions cruciales jaillissent de synapses suralimentés, troublant encore plus les esprits surchauffés de notre société savante en train d’affronter une expérience bouleversante. J’ai relevé celles qu’il n’est déjà plus besoin de poser, puisque chacun les a désormais sur les lèvres :

- Comment a-t-on fait pour assurer la pérennité des supports d’images sur une période défiant l’imagination ?
- Les sciences et les techniques ont-elles évolué au sein de la communauté de migrants spatio-temporels ou s’est-on contenté de maintenir à l’infini ce qui existait au moment du départ ?
- Il a bien fallu, à un moment ou à un autre, remplacer (et donc recréer) un composant de tel ou tel procédé ou équipement, voire même une structure du vaisseau interplanétaire: dans quelles conditions et à partir de quoi ?
- Sur les images les plus anciennes prises sur Terre, en dehors du catalogage méthodique des espèces zoologiques et botaniques, aucune présentation d’habitat urbain, du moindre site industriel ou d’une quelconque unité de production énergétique. A-t-on affaire à des touristes venus d’ailleurs ?

Cette dernière hypothèse trace son chemin de façon discrète et ne manquera pas de créer un courant d’opinion dominant si d’autres éléments venaient à la conforter.

jeudi 22 juillet 2010

OPUS MIXTUM (x)

  
Dixième chapitre: la face cachée de la Terre
  
En dehors des considérations déjà exprimées sur la faune et la flore, la géographie de la planète apparaissait dans une sorte de nudité anormale, inquiétante. Les continents en train de s’assembler vers leur composition actuelle, semblaient éclatés dans toutes les directions. Mais, le plus dérangeant pour la raison était encore la position de l’Eurasie, tournée à près de 180°, la façade atlantique proche d’un Pôle Nord qu’un climat chaud préservait des glaces.
Quelques agrandissements ponctuels ont permis de détecter des artefacts (terrassements et/ou constructions), particulièrement visibles sur un territoire insulaire qui devait, on le suppose, devenir plus tard le Groenland. C’est pourquoi une mission archéologique internationale va être envoyée sur place dans le but de retrouver les vestiges d’une civilisation inconnue, en dépit d’un terrain dont les conditions géologiques ont considérablement changé depuis le Crétacé supérieur. On attend des moyens techniques de notre siècle la capacité de visualiser le contenu du sol sur plusieurs kilomètres d’épaisseur, avant d’avoir à le transpercer pour en extraire les matériaux à analyser.
Cette nouvelle découverte fit l’effet d’un coup de bâton sur une fourmilière, agitant les esprits jusqu’à leur faire quitter l’inertie de leurs rivalités coutumières pour la force d’attraction d’une commune curiosité.

dimanche 18 juillet 2010

 

OPUS MIXTUM (ix)

   
Neuvième chapitre: mécanisme de l'éternel retour

Une stimulation contagieuse gagnait maintenant l’ensemble des techniciens chargés de réinventer les sciences éteintes, que le vaisseau fantôme leur livrait petit à petit par un jeu de piste conçu à une époque que l’on croyait pré-humaine. Dans un secteur apparemment destiné à la navigation, ce que l’on avait d’abord pris pour un miroir mural demi-sphérique afficha une image de la Terre vue de l’espace, que l’on pouvait non seulement faire défiler vers tous les points cardinaux, mais encore faire évoluer dans le temps sur les millions d’années nous séparant de la construction de l’appareil.
Une fois réactivé, ce terminal présentait bien l’état actuel de la planète, tel qu’on le connaissait par cœur et qu’on pouvait le contempler depuis le pont-promenade de l’hôpital. Mais un retour chronologique opéré à grande vitesse donnait accès à des découvertes stupéfiantes. Un analyste était en train d’évaluer la durée totale de ce qu’il convenait d’appeler "le champ d'action d'une mappemonde temporelle", à plusieurs vitesses de défilement, de manière à fixer une échelle et des repères. Il semblait dès lors que, tel un satellite de notre planète, ce monumental chevalier errant faisait des apparitions selon une périodicité à définir et à mettre en relation avec une orbite elliptique et une vitesse de croisière appropriée. Pourquoi pas tous les mille ans, si cette notion de temps pouvait avoir jamais eu valeur constante ?
Animés du besoin qu’a notre espèces de s’approprier l’inconnu par le biais du langage, et y ajoutant une touche mystique, on avait décidé de nommer les fantômes ayant construit et habité cette parcelle de passé arrachée à l’univers: "Les Pèlerins de l’éternité".

vendredi 9 juillet 2010

  

OPUS MIXTUM (viii)

   
Huitième chapitre : guide du naturaliste pré-hominien

Une première livraison d’images arrachées au regard mille fois millénaire des étoiles avait ravi l’ensemble du public, bien qu’une frange de la population puisse émettre des doutes sur l’authenticité de ce qu’on lui montre, ou prétend qu’il ne pouvait s’agir que de scènes tournées dans une autre galaxie (comme si on pouvait se rendre dans d’autres galaxies de nos jours !). Mais la fascination d’une retransmission en différé d’événements survenus sur notre bonne vieille Terre il y a plus de 65 millions d’années, a un effet définitivement magique.
Des Tyrannosaures, en veux-tu en voilà, plus vrais que nature et sous tous les angles, surpris dans leurs activités quotidiennes en décor naturel : fougères, platanes, pins, gingko-biloba, etc. Un vrai travail de collectionneur, voire d’archiviste, comme si tout cela devait disparaître sous l’effet d’une menace annoncée.
Pour varier le spectacle, on pouvait passer également aux Diplodicus, aux Velociraptors, aux crocodiles géants, ou encore à la belle famille des Ptérosaures au vol lent et appliqué. Ensuite, on découvrait d’autres espèces tout aussi insolites, au premier rang desquelles les petits mammifères dont certains auraient été à l’origine de l’humanité, selon une théorie communément admise faute d’un grand choix au niveau des pistes trouvées en fouillant le sol. Mais c’est encore le monde aquatique qui semblait offrir la plus grande variété de créatures vivantes, à cette époque.
Mettre un nom sur chaque spécimen présenté en image tridimensionnelle avait demandé leur large diffusion dans la partie habitée du système solaire, de façon à recruter l’avis de tous les spécialistes utiles à une vaste enquête paléontologique. Toutefois, certains individus n’avaient pu recevoir d’étiquette, tout prosaïquement parce qu’on en avait jamais retrouvé d’exemplaire fossilisé après leur extinction. A cette idée, les scientifiques avaient le vertige: revoir le catalogue de la faune et de la flore du Crétacé supérieur, avec en perspective le risque d'avoir à reformuler des théories ou pire, recomposer la généalogie d'espèces actuelles.
Vos notions de géographie sont aussi à revoir.

vendredi 2 juillet 2010

OPUS MIXTUM (vii)

 
Chapitre (court) en forme de digression: les voies de la Voie sont-elles impénétrables?
    
D'entretiens en tours de tables, sans omettre les brainstormings, rares furent les occasions d'arriver à une unanimité de point de vue ou même à un consensus parmi les chercheurs, chacun restant prisonnier des croyances de son domaine. Dans les mondes habités, planètes naturelles ou artificielles, le manque d'informations rassurantes sur l'origine et le but du fantôme silencieux que nous étions en train d'examiner,  provoquaient des tensions dans la population, que les médias s'empressaient d'attiser. Par chance pour moi, employé de l'Agence Spatiale Nationale Chinoise, une citation de Zhuangzi dans un rapport permettait d'exprimer ce que le vide des journées à débattre sans parvenir à une conclusion, laissait ressentir d'inutilité et d'incompétence.
Je me souviens particulièrement de cette seule formule envoyée à Beijing après une journée particulièrement pénible, et que quelqu'un avait trouvée digne de faire figurer au panneau d'affichage:
"Lorsque nous argumentons,
si tu gagnes et si je ne gagne pas, as-tu raison et ai-je tort?
Si je gagne et si tu ne gagnes pas, ai-je raison et as-tu tort?
Avons-nous raison? Avons-nous tort?
Puisque nous ne pouvons savoir qui de nous a raison,
un tiers sera sans doute plongé dans les ténèbres.
Qui donnerait un avis juste?
Une personne de ton avis ne peut, de ce fait donner un avis juste.
Une personne de mon avis ne peut, de ce fait donner un avis juste.
Une personne d'un troisième avis ne peut, de ce fait, donner un avis juste.
C'est ainsi que ni toi, ni moi, ni un tiers ne peut savoir qui de nous a raison.
Allons-nous faire appel à quelqu'un d'autre?"

OPUS MIXTUM (vi)

    
Sixième chapitre: ésotérisme et bricolage sont les mamelles d'une science inconnue

Un colloque réunissant des observateurs venant des disciplines les plus diverses a été organisé, dans un délai suffisant pour prendre connaissance de l'abondante documentation mise à disposition des participants. Bien que mes compétences puissent passer pour un syncrétisme de sciences occultes aux yeux des éminents spécialistes invités, je me retrouve à partager avec eux les installations et équipements de la bibliothèque du bord.
Les investigations des équipes techniques à l'intérieur de l'épave ont progressé, de façon à permettre d'assembler des faisceaux d'éléments susceptibles d'échafauder des théories sur cette énigme capable de faire vaciller des certitudes inébranlables. Autant par hasard que par déduction logique, on avait ainsi pu remettre en service plusieurs moyens de communication: par un procédé holographique insoupçonnable, des images apparaissaient ici ou là par simple contact d'objets aux formes géométriques complexes, pris d'abord pour d'insignifiants éléments de décoration. Il ne restait dès lors plus qu'à supprimer le hasard en retrouvant la chaîne des transactions, ou un quelconque mode opératoire ouvrant l'accès au programme télévisuel.  En réalité, c'était comme demander à des montreurs de lanternes magiques de concevoir des applications informatiques, mais il y parvenaient. D'autres produisaient des résultats surprenants en couplant intuitivement des systèmes périphériques contemporains à des machins innommables et inquiétants. La moralité de la phase de recherche où nous nous trouvions alors, était que  l'ingéniosité fait parfois son nid dans les trous laissés par la science.
Mais les choses ne devaient pas en rester là.