mercredi 30 juin 2010

 

OPUS MIXTUM (v)

       
Cinquième chapitre: actualité du Mésozoïque

La patiente connue sous le nom de code N2F2L2, avait été placée dans une section lui permettant une relative liberté de mouvements. J’avais été chargé d’en apprendre davantage sur un destin tragique qui l’avait vue errant seule à bord d’un vaisseau spatial de près de 10’000 hectares, dans une section de la galaxie hors des routes de navigation sous surveillance. Elle avait été fortuitement repérée par une sonde lancée autrefois pour suivre un amas d’astéroïdes, puis interceptée deux ans après lors de son passage à moins de 300'000 kilomètres d’une station de contrôle habitée.
Tout objet lancé dans l’espace poursuit éternellement sa route, pour autant qu’il ne percute aucun obstacle devant lui ou soit capté par la gravitation d’un corps plus massif. Sans en référer à l’éternité pour ce qui le concerne, l’ancienneté du vaisseau fantôme de N2FL2 souleva nombre d’interrogations sans réponse à ce jour. Si l’audace conceptuelle des divers corps de fuselage et de l’ensemble de la voilure frappait d’emblée sur un engin aussi colossal, le choix des matériaux constituant l’assemblage n’était mentionné sur aucun manuel d’aéronautique encore archivé.
Après reconstitution de sa trajectoire par rapport au référentiel stellaire, l’appareil était parti des environs de la Terre (compte tenu de sa taille, il avait dû être assemblé hors de l’atmosphère terrestre) à la position qu’elle occupait à la fin du Crétacé, soit il y a approximativement 65 millions d'années. Même si cette donnée, pourtant vérifiée à plusieurs reprises, échappait à la compréhension des analystes, voyager aussi longtemps sans système d’autorégulation directionnelle par rapport aux obstacles fortuits ou prévisibles, ressemble à un pari suicidaire. Mais la fonction de nombreux appareils et systèmes de commande trouvés à bord n’a pas encore pu être interprétée.
A moins d'une nouvelle digression, on devrait enfin tenir le fil rouge.

mardi 29 juin 2010

  

OPUS MIXTUM (iv)

    
Quatrième chapitre: Facts and Figures

La station hôpital décrit une orbite à 35'000 kilomètres de l’équateur terrestre, de façon à conserver un rythme de rotation de 24 heures par rapport notre planète, dont la vision permanente et le cycle régulier est propre à tranquilliser les patients. L’absence de gravitation a un effet salutaire sur nombre d’affections, y compris dans le domaine psychiatrique. Tout comme la vision rassurante de la planète mère, l’allègement du poids corporel et le fait d’être constamment exposé à la lumière du soleil. Accessible depuis la Terre en 3 heures, compte tenu des courbes de sortie et entrée dans l’atmosphère, c’est toutefois depuis la Lune que se fait le trafic des navettes destinées à la logistique et la maintenance, puisque l’énergie demandée pour un lancement depuis cet astre est 2,5 fois mois importante que depuis la Terre.
Sur une planète, quelles que soient la pression atmosphérique ou la nature chimique ambiante, un établissement hospitalier ressemble toujours à sa fonction. Tandis que pour les nomades de l’espace, un hôpital peut revêtir l’aspect d’un porte-avions et une clinique celui d’un train de marchandises. Hormis le fait qu’ici, les couloirs sont à la fois cylindriques et courbes, ils sont parcourus par la même population de blouses blanches affairée.
L'explication du drame devrait suivre.
  

lundi 28 juin 2010

OPUS MIXTUM (iii)

 
Troisième chapitre: le passé est au fond de l'espace

La navette spatiale se met en configuration de gravitation artificielle, à la surprise de deux néophytes n’ayant sans doute pas anticipé la manoeuvre : ils se retrouvent  inclinés dans des angles différents, bien que l'un en face de l'autre. Collé à la paroi pour bénéficier d’un champ uniforme, j’attends d’avoir rectifié mentalement toutes les anomalies survenues dans mon champ de vision pour retourner à l’espace qui m’est réservé. Pour plus de sécurité, je fixe un objet dont l’immobilité est certaine, tout en évitant de regarder par les ouvertures extérieures le spectacle lancinant des étoiles passant et repassant comme un carrousel emballé, puis je me lance résolument en avant. J’ai suffisamment séjourné dans ce type d’endroit, où l’être humain n’est bon qu’à occuper les espaces vides laissés par la matière inanimée et à prendre soin des choses, pour savoir que la présence de l’homme rassure la machine et lui offre une protection contre l’usure - voire même la destruction conjointe -, et que de la seule raison humaine dépend la survie de cette civilisation de migrants interplanétaires.
L’étude des pathologies spatiales a, bien sûr, débuté au retour des premiers vols habités. C’était l’époque des pionniers, véritables héros prêts à sacrifier leur intégrité physique et psychique pour le progrès de la science et de l’humanité. Elle devint discipline médicale à part entière, dès le moment où la population de Terriens voguant dans les espaces infinis parvint à égaler en nombre celle déambulant sur la planète originelle. On s’est aperçu depuis, que certains troubles du comportement ne relevaient pas de causes jusque-là explicables en environnement terrestre. Il a fallu en remonter aux poètes du grand large interplanétaire pour construire une nouvelle approche de phénomènes inexpliqués, à l’instigation de Friedrich Hölderlin et de son : "...mais ce qui demeure, les poètes le fondent". Au panthéon de ceux-ci Ray Bradbury, en Du Bellay cosmique méditant sur la beauté tragique de l’antique civilisation martienne, et Arthur C. Clarke, en Homère spatio-temporel laissant son héros affronter mort et transfiguration au franchissement d’un Trou Noir.
Et  l'on en arrive à se rapprocher de ce qui nous amène ici.

vendredi 25 juin 2010

OPUS MIXTUM (ii)

    
Second chapitre: de la vérité ou du mensonge, lequel a précédé l’autre?

Pour éviter toute désillusion, il serait nécessaire de veiller en sentinelle du réel sur cette frange de terre sans cesse recouverte par les marées de l'inconscient que l’on nomme l’estran. Quelle est la part du rêve ou celle de la réalité dans nos journées ? Si l’on a pu déterminer quelle était la durée totale du temps consacré au sommeil au cours d’une vie, il conviendrait d’y ajouter le temps passé en rêveries de toutes sortes et l’on réaliserait que le contact avec la réalité brute reste la portion congrue de l’existence.
Tout comme vous ne serez pas surpris d’apprendre que les couleurs sont une production du cerveau décodant les informations reçues de l’œil : donc, les couleurs n’existent pas. Par contre, on peut partager ce mensonge, puisqu’il est cru par la plupart des personnes avec lesquelles on pourrait en parler.
Quelle est la somme des mensonges pouvant être ainsi partagés sans contestation? Toute information est sujette à interprétation vraie ou fausse, les langages sont inaptes à reproduire l’ensemble des phénomènes que nous percevons et la notion même de réalité n’a de validité que pour l’unique regard personnel porté sur le monde...
Raison pour laquelle voyager dans l’espace demande une acclimatation psychologique à des phénomènes tels que voir des gens marcher la tête en bas sur les paroi opposées, les verticales de la cabine converger de façon anormale, ou les corps célestes tourner autour de votre frêle esquif métallique dans une ronde insensée.
Je crois qu’il est temps d’avancer dans le récit proprement dit.
   
  

OPUS MIXTUM (i)

     
Premier chapitre: la porte du Ciel se trouve en Chine

Je digresse avant même d’avoir abordé le fond du sujet et cela aura été un motif d’inquiétude à mon propos, jusqu’à faire hésiter les responsables du projet avant de me confier finalement la mission.
Laissé jeune au pouvoir d’une nature dilettante, j‘avais suivi des cours de philosophie, de psychologie et de poésie à l’université de Miskatonic, dans la ville d’Arkham en Nouvelle-Angleterre, avec la curiosité pour seul alibi. Puis, lorsque la nécessité de me prendre financièrement en charge devint impérieuse, je me décidai à une formation accélérée en Techniques de Thérapie Comportementale au Centre International d’Etudes Spatiales de Beijing ; la Chine venait d’accéder au premier rang mondial dans le domaine de l’exploration de notre système solaire.
Enfermé dans mon un gratte-ciel du quartier de Shijingshan, je m’imbibai, en plus d’un programme quotidien exigeant, de lectures sur le Taoïsme et terminai le troisième volume des "Essais sur le bouddhisme Zen" (Chan pour les Chinois) du Dr Suzuki dans l’ivresse. Inutile de préciser que j’accumulais une fatigue intellectuelle qui serait parvenue à mettre ma santé en péril, si une décision soudaine de me confier à l’étreinte glacée de l’Univers n’était intervenue.
Contempler l’Infini, tout en plongeant dans ce néant vertigineux criblé de corps célestes hors d’atteinte des notions de temps et de distance accessibles à un être humain, avait de quoi calmer ma fièvre cérébrale et me ramener à la conscience du moment présent, par le rappel de la fragilité de mon existence face à ces monstruosités plus anciennes que notre espèce.
Voyons peut-être les choses sous un aspect plus concret.

jeudi 24 juin 2010

  

Chose prise à partie

   
Déférence gardée envers Francis Ponge - selon la formule de Georges Brassens (*) -, que le bon maître me le pardonne si ce briquet n'évoque pas plus de drame humain que son savon ou autre de ses babioles.
Briquet à essence de la marque ZIPPO, dont les dimensions sont parfaitement adaptées à la paume de la main et qui peut être manipulé dans toutes les circonstances, même les plus périlleuses qu’un fumeur invétéré peut rencontrer.
Les dimensions, donc : 3,5 cm sur 5,5 cm, pour une épaisseur de 1 cm. Objet composé de deux parties reliées dans l’épaisseur par une charnière : le couvercle qui se soulève - avec son "clic" caractéristique – au niveau des cinq-huitièmes de la hauteur, respectant ainsi un canon de la Règle d’Or, et la partie inférieure abritant le réservoir.
Une fois le couvercle soulevé, une légère odeur d’essence vient pénétrer les narines, en préambule au parfum du tabac (mélange turc et américain) qui va lui succéder. Du moins, dans ma mémoire, les événements sont-ils catalogués dans cet ordre.
Ce briquet est garanti à vie et il a survécu quarante ans à son premier propriétaire, ce qui est presque un gage d’immortalité. Sur une face, celle où la charnière est à gauche, on peut lire gravé dans le métal du couvercle :

VIET NAM
AN KHE
69-70

Plus bas, une tête de mort surmontée d’un chapeau haut-de-forme (clin d’œil ironique à l’Oncle Sam?) et deux tibias croisés.
En 1969, j’ai eu 21 ans, le même âge probablement que ledit propriétaire dont le sort m’est inconnu. Oui, sort sur lequel plane un doute où le malaise est présent: le briquet a-t-il été donné, volé, vendu, trouvé sur un cadavre déchiqueté, dans une tombe profanée, dans une carlingue calcinée ?
L’état de la surface métallique d’ailleurs, fortement abrasée, laisse supposer le pire traitement: explosion, feu, corrosion, oxydation, etc. Mais avec l’autre face, c’est une tranche de destin qui s’énonce fièrement, à la manière d’une épitaphe:

FIGHTER BY DAY
LOVER BY NIGHT
DRUNKER BY CHOICE
SOLDIER BY MISTAKE

Comme s’il fallait préciser la zone géographique où doivent s’orienter les pensées, figurent encore le contour de l’ancienne République du Viet Nam (sud) et l’emplacement des diverses bases américaines.

(*) "Supplique pour être enterré sur la plage de Sète"

mercredi 23 juin 2010

OPUS MIXTUM (dédicace)

     
Dédicace ou le fruit doux-amer de la raison

Bien que cela soit hors de propos, j’éprouve depuis longtemps le besoin d’écrire une lettre à une inconnue sortie un jour de la foule des anonymes - et dont l’image reste gravée dans ma mémoire - souvent croisée, toujours identique dans son apparence et par l’impression produite sur moi. Sa modestie, certainement due à une simplicité naturelle, faisait qu’elle n’aurait jamais pu se singulariser dans le flux de voyageurs quittant la gare pour se disperser dans les autobus qui les emportent dans toutes les directions.
Pourtant, comme notre destination était en partie commune, sa présence s’est imposée par une accumulation de raisons chaque jour plus évidentes. Simplicité, disais-je, soulignant une grâce et une finesse qui suffisaient à l’isoler de cette foule de corps immobilisés dans l’attente d’arriver au terme du voyage. Délicatesse, encore, d’une beauté digne de la statuaire classique, que l’on peut facilement croire éternelle pour être séduit à tout jamais. L’image demeure intacte, intouchée, et c’est bien ce qu’il convient pour demeurer sous un charme que rien ne pourra entamer.
La raison de cette distance est dans l’évidence d’une différence d’âge telle, que toute tentative de rapprochement ne conduirait qu’à me couvrir de ridicule. J’assume la faiblesse de mon état de semi-vieillard, en caressant seulement l’idée d’avoir rencontré l’expression d’un idéal féminin.
Cette lettre me paraît maintenant écrite, mais j’ajoute que le hasard d’une rencontre de cette qualité n’est pas le seul produit d’un calcul de probabilités ou de secrétions hormonales.
Revenons-en plutôt au sujet.