vendredi 26 février 2010

New York - Shanghai

  
Nous aurions pu aller à New York. Passer quelques jours dans cet hôtel hors du temps parce que la vue donne sur la frondaison des arbres centenaires de Central Park. Si tu en avais le courage, arpenter quelques blocs au long d’avenues sans borne et partager des fragments de mon passé. Te faire voir quelques décors poussiéreux, remisés dans une zone de semi-oubli avant de finir au rebut pour cessation de mémoire.
Tu n’as jamais été aux Etats-Unis. Qu’importe : tu as déjà fait un si long voyage pour venir jusqu’à moi. Même si ce bond de géant par-dessus les longitudes, tu n’as toujours pas fini de le digérer, tant la confrontation entre nos deux mondes t’a laissé de terres inconnues et jamais arpentées après tout ce temps. Alors, à quoi bon rajouter de la distance ?
Nous aurions pu aller à New York, c’est vrai, si nos ressources avaient le bon goût de suivre l'élévation de nos rêveries et si ton état de santé n’incitait pas à retourner achever le parcours là où tu l'as commencé.

lundi 22 février 2010

Un pont très loin

        
   

Vous pouvez répéter la question ?

  
Imaginons un instant que vous entrez dans un immeuble, le vôtre ou un autre, et que vous prenez l’ascenseur.
Mais celui-ci ne s’arrête pas à l’étage demandé et continue à monter. Vous pensez que sa course ne va pas se poursuivre trop longtemps et que vous pourrez sortir. Contre toute attente, il passe le dernier étage sans s’y arrêter. Alors, vous essayer d’imaginer ce qu’il peut y avoir sous le toit, dans cette partie inconnue de l’immeuble. Mais la cabine monte toujours et vous finissez par perdre tout repère logique.
A ce moment, quel sentiment vous vient immédiatement à l’esprit: je suis foutu/e, ou c'est parti pour une expérience fantastique ?

Le mystère révélé

  
Je parle d’une fleur qui ne se laisse pas facilement découvrir par l’étranger pressé.
Le chemin pour la trouver m’a été suggéré par l'un des films de Zhang Ymou, après vingt ans d’un patient parcours dans un jardin au tracé aussi complexe que celui d’un labyrinthe.
Fallait-il attendre que les vertus du visiteur soient mises à l’épreuve autant de temps pour en mériter l’accès ? C’est possible, mais je ne regrette pas cette atente pour m’être approché d'aussi près de l’âme chinoise et d'être capable d’en décrire la forme et les couleurs ; malheureusement, je n’ai que trois mots à disposition pour le faire : Honneur, Discipline, Esprit. 
Pour rendre cette image plus nette à celui qui le voudrait, il faudrait, j’en ai peur, consacrer autant d'années que j’ai mises moi-même avant de la voir. Alors, patience…

vendredi 19 février 2010

Séquence chlorophylle dans le Sichuan

    

The Last Supper-stition

  
Tout occupés qu’ils étaient à débattre avec flamme de choses temporelles, les Douze n’entendirent pas le Maître entrer dans la chambre haute. Sans même frôler le sol ou provoquer le moindre déplacement d’air, il gagna sa place dans une indifférence que seul le brouhaha des conversations suffirait à expliquer. "Celles qui élèvent" avaient ordonné le plan de la fête en prévision de l’importance que cette dernière prendrait dans l’Histoire. Marie de Magdala, s’inspirant d’une tablette gravée par Hieronymus Estebus, le Lucullus hiérosolymitain, avait souhaité frapper les esprits en défiant les papilles les plus indolentes. Marie de Béthanie, en appelant aux mânes de ce mois de Ventôse de l’an 33, avait fait livrer des amphores de vin de Corinthe aromatisé à la résine de pin d’Alep. Quant à Marie la Pécheresse, dont la longue et abondante chevelure cuivrée servait d’unique vêtement, elle mouvait son corps fascinant en ondoiements célestes à l’écoute de sa propre musique interne...
...
Evitant de donner aux autres convives l’ombre d’un soupçon qu’il était en train de trier les meilleurs morceaux, celui que le Maître aimait plongea avec dextérité ses baguettes dans la fricassée de lapin à l’abricot confit, cumin et pistaches, et dit:
- une information circule en ville selon quoi la conjecture de Riemann sur les nombres premiers n’aurait toujours pas été démontrée. A cette nouvelle, un murmure parcourt l’assemblée des apôtres, comme ronfle le feu dans une cheminée sous l’effet du vent. Puis la lame d’une guillotine s’élève au-dessus des têtes, pour retomber en tranchant les vibrations sonores suspendues dans l’air: tous se taisent, car le Maître parle:
- il s’agit certainement d’une intox répandue par Dan Brown.
En effet, le monde civilisé était en effervescence depuis qu’en l’an 32, un Briton avait touché 75'000 sesterces d’un mécène germain pour avoir démontré le dernier théorème de Fermat. Il ne restait alors plus qu’à s’accrocher à la conjecture de Riemann pour décrocher le jackpot. Le grelot sonna le 18e jour de Germinal de cette même année, mettant toute la romanité sur les nerfs avant que le soufflé ne retombe quelques mois plus tard...

   
A ce moment, l’œnologue de l’ashram vient vérifier l’effet du picrate sur les invités au repas de sa grande sœur. La plus petite poursuivant ses contorsions dans le plus simple appareil autour des convives, dont les plus sensibles sentaient déjà l’érotisme sous-jacent dévaster leur candeur, quelles qu’aient été les intentions originales de la ballerine. Une tension perceptible commence à poindre et les fronts perlent sous l’effet conjugué des mets, des nectars et des émanations de la féminité. Didyme Jude Thomas s’écrie alors, un rien chaviré:
- celui qui parvient à l’interprétation de ces paroles ne goûtera point la mort!
Jacques le Mineur, demi-frère du Maître (sa mère Sophia étant l’une des concubines de Joseph, leur père), se levant avec un effort qu’il tente de masquer en défroissant sa tunique d’un geste étudié, demande que l’on fasse avancer la suite du menu:
- ce n’est point à la mort que nous goûterons ce jour, mes amis, mais à la terrine de foie gras aux lentilles du bienheureux Estebus.
...
Depuis le pas de la porte, Marie de Béthanie fait un geste rapide en direction de la cuisine, d’où sortent pas moins de trente porteurs de plats en une colonne sinueuse et dansante. Se balançant sur sa chaise, Barthélémy regarde Marie la Pécheresse sauter et tournoyer et fait part à l’ex-Simon de la réflexion que lui inspire ce spectacle:
- ne crains pas la chair, mais ne l’aime pas non plus. Si tu la crains, elle te dominera. Si tu l’aimes elle te dévorera et t’étranglera.
L’ex-Simon s’abîme en lui-même un long moment, tout en retirant avec l’ongle de l’auriculaire un morceau de lapin logé entre deux dents, puis fait dans un souffle, presque un soupir:
- si la chair a été créée à cause de l’esprit, c’est un miracle. Mais si l’esprit a été créé à cause du corps, c’est un miracle de miracle..
..
Le fils de Zébédée, qui avait des vues sur le Zélote, mais n’osait manifester clairement ses intentions, écrasé qu’il était par l’intégrisme religieux de ce quartier de Yeroushalayim, profita d’un changement de vaisselle pour rapprocher sa chaise en toussotant:
- j’ai connu hier un moment d’une intense émotion à l’écoute de deux versions de l’adagio du premier concerto pour violoncelle de Haydn. Celle de Rostropovitch, avec l’Academy de Saint-Martin-in-the-Fields tout d’abord; puis celle de Jacqueline du Pré, avec l’English Chamber Orchestra ensuite. La confrontation de l’entité sonore créée par chaque interprète fécondant l’œuvre par la vitalité de son instrument est tout simplement bouleversante. Rostropovitch reste toujours en deçà du pathos avec un chant restituant toutes les émotions contenues de ses auditeurs passés, présents et à venir. Alors que Du Pré fait vibrer chaque fibre sensible de notre être sous un archet capable de fissurer un atome.
  

C’est au milieu de ce tumulte d’esprits joyeux en train de s’échauffer qu’un étrange visiteur se présente. Le seul fait d’avoir à partager le même espace que lui, provoque un malaise intense dans l’assemblée et les conversations s’éteignent decrescendo. On peut entendre distinctement bourdonner les mouches.
Le Maître, qui est celui qui sait ce qui a été, ce qui est et ce qui sera, s’adresse à lui sans crainte, car il le connaît déjà:
- bonjour à toi, Seigneur du Sheol, prends place et joins-toi au banquet. Le prochain plat devrait être de la tajine de poulet aux citrons confits: j’en raffole…
- merci de ton hospitalité, Rabbi, mais je suis seulement venu conclure un marché secret avec toi.
A ces mots, toutes les personnes présentes, à l’exception des deux interlocuteurs, se figent comme des statues et nulle parole ne peut les atteindre.
- Rabbi, tu le sais, demain ils viendront s’emparer de toi pour te conduire à ton destin: un grand destin. Alors que de moi, on ne parlera plus dans deux mille ans. Laisse-moi prendre ta place, pour que sur mon corps supplicié se construise pour l’éternité un empire plus puissant que Rome, quand bien même cet empire devrait porter ton nom. J’en ai déjà parlé à l’Iscariote, il est d’accord et fera en sorte que l’on me prenne pour toi. Je lui ai donné trente deniers pour s’assurer des complicités nécessaires..

Le Maître laissa faire, convaincu que la force invincible des symboles n’exigeait pas implicitement sa contribution personnelle au sacrifice, comme il était satisfait de se débarrasser d’un concurrent redoutable, mais d’un égotisme suicidaire. Ce qui lui laissait le champ libre pour le travail considérable qu’il avait encore à accomplir sur Terre. Il vécut encore de nombreuses années, entouré de l’affection des siens et de sa nombreuse progéniture. A ce jour, la conjecture de Riemann sur les nombres premiers n’a toujours pas été démontrée, même avec tous les moyens informatiques mis en œuvre. Les mouches ayant perdu leur Seigneur s’attachent à n’importe quel être vivant et le Mal existe toujours; ce qui prouve bien qu’il est une invention humaine et non celle d’un quelconque esprit mal tourné. Enfin, selon Dan Brown, les descendants du Maître sont à l’origine de la race des Mérovingiens et il y a de bonnes probabilités pour que nous en gardions tous quelques gènes.

jeudi 18 février 2010

Entretien avec le Fils du Ciel

   
Le Fils du Ciel laboure une fois dans l’année.
  
Pour remplir ce devoir, à la date ordonnée,
Un jour, Kang-Hi (1), le sage empereur, se courbait
Sur un soc attelé de bœufs blancs du Thibet.
Sans voir la foule immense et de loin acourue,
L’illustre Taï-Tsing (2) conduisait sa charrue
Et regardait, rêveur et se parlant tout bas,
Le sol gras et fécond s’ouvrir devant ses pas ;
Et, creusant son sillon, il murmurait :
  
        "O Terre !
La vie est une énigme, et la mort un mystère.
Mais toi, dont les épis balancés par les vents
Sont engraissés des morts pour nourrir les vivants,
O toi, mère du cèdre et de la graminée,
Tu dois savoir le mot de notre destinée.
Sur ce problème, auquel en vain j’ai réfléchi,

  

Réponds-moi donc. Je suis Kang-Hi , fils de Chun-Tchi (3) ;
Et mon bras a vaincu le Thibet et Formose (4) ;
Et je suis grand parmi les plus grands, sans qu’on m’ose
Adresser la parole en élevant la voix
Avant d’avoir frappé du front le sol neuf fois ;
Je suis le maître, à qui toute chose est permise ;
Pourtant mon cœur est humble et mon âme est soumise,
Et je n’ai pas l’orgueil que mes aïeux ont eu.
Pour grandir en sagesse et pour croître en vertu,
J’ai fait graver, fidèle aux antiques usages,
Aux murs de mon palais les sentences des sages,
Tel qu’un jeune homme suit les conseils d’un barbon.
Je hais les courtisans, et, si j’étais moins bon,
Je voudrais ordonner qu’on leur coupât la langue.
Je suis doux : je défends, sous peine de la cangue,
De noyer les enfants du sexe féminin.
     
Je suis subtil : je sais greffer un pommier nain
Sur un rosier, selon les lois de la physique ;
Je touche de divers instruments de musique
Et je lis couramment, et fais des vers d’amour.
Je suis brave, non pas comme l’affreux Timour,
Par vain désir de gloire et par goût sanguinaire,
Mais pour tomber, avec le fracas du tonnerre,
Sur le Mongol camard et le Russe sans Dieu,
S’ils osent attaquer l’Empire du Milieu.
Je suis savant : je sais les rites et les codes.
Je suis pieux : je rends hommage, en leurs pagodes,
Aux bonzes de Kong-Tsé (5) comme aux prêtres de Fô (6),
Et je protège aussi Jésus, le Dieu nouveau,
Qui naquit d’une vierge et qui veut que Ton s’aime.
Je suis juste, et prétends que tout le blé qu’il sème,
Au temps de la moisson revienne au laboureur.
  

Enfin je suis un bon, sage et grand empereur,
Et mon nom est béni par quiconque respire,
Du levant au ponant, dans le Céleste Empire.
Et maintenant, ô toi dont la fécondité
Nous accorde le riz, le froment et le thé,
O Terre maternelle, où chaque créature
Cherche sa vie et trouve enfin sa sépulture,
Et qui de tout au monde es la cause et l’effet,
Dis, que restera-t-il de tout ce que j’ai fait ?
Réponds-moi, pour cela fallût-il un miracle !"

Mais sa charrue alors rencontrant un obstacle,
Kang-Hi creusa le sol d’un plus puissant effort,
Et fit sortir de terre une tête de mort.


(1)   康熙, Kāngxī
(2)   泰清 (dài qing) = l'éminent Qing (de la dynastie du même nom) ou encore "grande clarté"
(3)   順治, Shunzhi
(4)  en référence à des victoires déterminantes des Mandchous sur l'empire Ming
(5)   孔夫子, Kong Fuzi (Confucius)
(6)   佛, Fô (Bouddha)
  
 

La légende à redorer

  
J'étais à peine rentré d’une reconnaissance au nord du Sénégal, où des peintures rupestres évoquant des formes léporidées m’avaient été signalées, qu’une nouvelle en provenance de Chine m’invita à refaire mes bagages pour le Sichuan. Ce que je vis, au fond d’une caverne située au pied d’une sommité moyenne au sud-ouest du Mont Emei, devait me convaincre que le hasard n’est plus tolérable et que l’évidence d’une civilisation très ancienne en rapport avec les lapins s’étalait devant mes yeux. Mais le mystère reste entier lorsqu’on tente une datation des mythes concernant cet animal.


Au IIe siècle de notre ère, le très dogmatique Irénée de Lyon a parfaitement rapporté les thèses de communautés gnostiques qui toutes, de la Vallée du Jourdain à l’Asie Mineure et même jusqu’en Extrême-Orient, exposent la mystique du Grand Lapin réservant le salut à ses seuls initiés, en opposition au Christianisme qui le propose à chaque individu. Il n’est pas inutile de citer les disciples d’Audi, les Manichéens, les Kantéens, les Séthiens, les Barbélognostiques, les Archantiques, les Ophites, les Pérates ou les Caïnistes, qui s’en réclament tous sans exception. Par contre, on n’en trouve nulle trace dans les écrits de Simon de Samarie ou de Nicolas le Diacre, ce qui ajoute à l’étrangeté de ce courant de pensée. Selon Frazer, cette conception ésotérique repose sur un substrat plus ancien que l’hypothèse midrashique ne peut interpréter.
Quelques siècles plus tard, les récits de Bogomiles ou de Cathares ayant échappé au bûcher, mentionnent de façon très prudente l’existence de croyances tenues secrètes sur le retour du Grand Lapin, dont l’espèce dominait autrefois la Terre et aurait contribué à l’extinction des dinosaures en leur mangeant l’herbe devant le museau. Ce retour quasiment messianique a pour but d’empêcher Sophia de s’unir à nouveau à la matière, obligeant alors le Démiurge à retirer l’esprit à Adam, dont la longue lignée humaine a injustement détrôné les lapins.

     
Pour le Sénégal, cité plus haut, le cas a été promptement réglé, puisqu’il s’agissait de dessins récents réalisés à la craie par des enfants, pour illustrer une légende locale remontant au début de la période post-coloniale et évoquant le séjour d’un toubab surnommé Rabbit, on ne sait pourquoi. Par contre, en analysant les différentes sources qui alimentent la légende arthurienne, on relève au XIIe siècle chez Païen de Maisières, sorte d’écho corrompu de Chrétien de Troyes, une mention originale de Gauvain dévoré par une tigresse asiatique au fort pouvoir de séduction, qu’il était venu dérober dans le château d’un mystérieux Roi-Lapin. .
Mais ceci tient plus de blagues d’anthropologues en fin de banquet annuel, que d’un scénario de film d’aventures mettant en scène un scientifique chapeauté aux prises avec de malfaisants simoniaques avides d’objets liturgiques antiques.
Il faut par contre admettre que la circulation réciproque des idées entre l’Extrême-Orient et la Terre-Sainte ne fait plus aucun doute, puisqu’on retrouve le texte qui suit dans l’Evangile apocryphe de Philippe: "La lumière et la parole, la vie et la mort, la droite et la gauche sont sœurs les unes des autres ; elles sont inséparables. C’est pourquoi, ni les bons sont bons, ni les méchants méchants, ni la vie est vie, chacun sera dissous dans sa nature originelle. Mais les lapins, qui sont supérieurs au monde, sont indissolubles, éternels". De nature spécifiquement taoïste, il fait écho à de nombreux passages du Zhuangzi écrit 300 ans plus tôt et, sans le dénaturer, on pourrait lui ajouter la fin du célèbre discours de l’énigmatique Guang Chengzi au légendaire Empereur Jaune : "Tout ce qui naît de la terre retourne à la terre. Comme les lapins échappent à ce cycle, je vais vous quitter, franchir les portes de l’infini, participer du soleil et de la lune, durer comme le ciel et la terre. Si l’on m’aborde, je disparaîtrai ; si l’on me fuit, je l’ignorerai. Lorsque les humains seront morts, moi seul survivrai".


Guang Chengzi est-il le fabuleux Grand Lapin, dont la vénération est parvenue en Terre-Sainte se confronter au Christianisme naissant, pour se diffuser ensuite dans le monde celtique, puis médiéval ? Quel est le message véhiculé par ces dessins de lapins vus dans une grotte du Sichuan, et pour le moins contemporains de l’époque à laquelle on situe l’hypothétique Empereur Jaune (~2'500 av. J.C.) ?
Le Christianisme ayant supplanté le culte du lapin, ce dernier a néanmoins survécu dans l’inconscient collectif et réapparaît sous forme de figurines en chocolat consommées au moment le plus crucial de son calendrier liturgique.

Post Scriptum :
en mandarin, la traduction courante de l’expression "le coup du lapin" est 头颈部损伤, mais son contenu sémantique diffère sensiblement du français, puisqu’on peut sans crainte le rapprocher de la fameuse expression latine "cave cuniculum"; peut-être n’est-ce pas non plus le fruit du hasard… ...

mardi 16 février 2010

A l'Homme aux 28 coups de pinceau (*)


"Le ciel est haut, les nuages sont clairs
Nous regardons l'oie sauvage disparaître vers le sud
Nous ne serons point hommes avant d'atteindre la Grande Muraille,
Nous qui avons marché vingt mille li.
Sur la cime du mont Lieoupan
Les drapeaux rouges flottent au gré du vent d'ouest
Aujourd'hui nous tenons en main la longue corde:
Quand allons-nous capturer le Dragon Ténébreux ?" (*)
   
Mais parlons un peu de la Grande Muraille: elle qui devrait faire 10'000 li, selon l'expression consacrée, en compte en réalité 17'704 lorsqu'on cumule les tronçons subsistants.
Il suffirait donc que la Grande Muraille m'avance de son excédent les 310 li manquants, pour que mon honneur soit sauf. Je ne manquerai pas de les lui restituer lors de ma prochaine visite à Badaling (avec mes amis de Radio Chine Internationale de la photo ci-dessus).
   
Veuillez agréer, Monsieur le Président et cher poète, etc...
___________

(*)  二十八畫et/ou  Mao Zedong (poème de 1935)

Le paradoxe du Vieux Sage (singe ?)

"En effet, qu'il soit réel ou fictif, le personnage Lao Tseu a réellement existé, même s'il n'a pas existé réellement sous son nom ou sous un nom d'emprunt, comme il était d'usage à l'époque. C'est probablement un nom en lien avec un personnage de légende ayant eu cours à l'époque des Printemps et des Automnes et, que le personnage ayant inspiré le pseudonyme ait existé ou non, cela n'a que peu d'importance. En effet, si le personnage n'a pas existé, mais que l'œuvre qui lui est attribuée existe bel et bien, on se trouve en plein paradoxe. Premièrement, il est possible qu'il ait écrit l'œuvre lui-même (Lao Tseu). Deuxièment, il est possible que le Daodejing ait été écrit à titre posthume par un disciple direct. Troisièmement, l'auteur voulant valoriser son œuvre décide de prendre un pseudonyme en lien avec un personnage dont la sagesse fait autorité. Dans cette troisième possibilité, on est 
    

renvoyé encore à la notion de paradoxe, puisque l'auteur (anonyme) ayant pris le pseudonyme du sage reclus - et ce même s'il n'a pas vécu -, il devient donc faux de dire qu'il n'a pas vécu. Quatrièmement, il est possible qu'il ait écrit l'œuvre lui-même et que, à une époque où les auteurs ne signaient pas leurs œuvres de leurs propre nom, il l'ait fait dans le but de jeter le doute dans l'esprit des générations futures. Cette quatrième hypothèse nous ramène une fois de plus à la notion de paradoxe, étant donné qu'il signe de son propre nom dans le but que l'on suppose qu'il n'en soit pas l'auteur, bien qu'il soit l'auteur. Enfin, dans le Daodejing, le concept de paradoxe revient si  fréquemment que l'on ne doit pas être surpris de nager en plein paradoxe".
Source: http://fr.wikipedia.org/wiki/Lao_Tseu

lundi 15 février 2010

Entretien avec l'Empereur Jaune

  
- Oui, je crois qu’on peut parler d’un Autre Monde, que le nôtre…
- Cependant, ce n’est ni une autre planète, ni un nouveau Nouveau Monde, mais le plus ancien encore existant: un Monde radicalement différent de celui dans lequel nos coutumes et nos usages se sont développés.
- Est-ce donc faute de n’avoir pu nous imposer les vôtres, que le fossé existe?
- Certainement; mais il faut remarquer qu’au XVe siècle de notre ère, votre puissance était telle que vous aviez la capacité d’imposer votre domination sur les voies navigables connues  et contrôler la prospérité économique des nations occidentales.
- Qu’est-il arrivé?
- Le Grand Dragon a soudain eu le mal de mer : il s’est replié sur lui-même, puis s’est assoupi pour plusieurs siècles.

 

- Vous évoquez sans doute un conflit intérieur entre le Moi et le Sur-Moi, s'exprimant par l’antagonisme entre le dogme confucéen - fixé depuis plus de mille ans - et un besoin d'horizons nouveaux?
- C'est ça: la colonne vertébrale unissant l’ossature de la civilisation chinoise a horreur d'une gymnastique qui ne serait pas statique. L’Empire du Milieu doit rester à sa place et l’immobilité est la plus sûre façon d’arriver au but…
- … qui est de perpétuer ce qui est, et a toujours été...
- ... ou de nier l'espace et le temps tout en leur accordant la plus extrême attention.

mercredi 10 février 2010

Snowflakes sur la 6e

       
La neige tourbillonne dehors, comme elle tourbillonnait un mois de février du temps jadis entre les gratte-ciel de la 6e avenue. Mais ce décor urbain, typiquement newyorkais, était loin d'être stable et il prit soudain l'apparence d'une vallée des Alpes en même saison, comme si un esprit malicieux avait ouvert une porte sur une autre dimension. Je souhaitais juste faire quelques pas sous les flocons en me rendant au Musée d’Art Moderne, en aucun cas défier les lois de l'espace et du temps.

mardi 9 février 2010

Alerte à bord

  
On franchit la porte de l’avion les sens en alerte : luminosité, température, humidité, sons, odeurs ; chaque donnée va être enregistrée, stockée, puis rapprochée d’autres données relevées dans les aéroports où l’on s’est déjà posé. S’il s’agit d’un pays inconnu, on est prêt à tous les contrastes imaginables en passant le seuil du refuge rassurant de la cabine.
Chaleur et humidité sont au top du classement, d’autant plus qu’elles vont tout faire pour user la résistance de nerfs déjà proches du seuil de tolérance, quand il s’agira de déjouer les pièges posés sur la route de la destination finale. Même s’il suffit de se laisser guider, elles s’ajoutent à la fatigue du chemin parcouru pour gâcher l’enthousiasme de la découverte.
Dans un tel cas, la possibilité de faire une comparaison permettra de désamorcer l’anxiété sous-jacente ; un : "ça ne peut tout de même pas être pire qu’en Floride au mois d’août", conditionnera mentalement chacun pour régler son thermostat interne.
Par contre, si les conditions climatiques n’ont rien d’exceptionnel, c’est la curiosité de retrouver des sensations connues qui va prendre le pas sur le dépaysement. Dans ce cas, c’est aux odeurs à développer tout leur potentiel évocatoire ; avec une note dominante de kérosène, omniprésente au plan international et qui rappelle au distrait qu’il est bien parti en voyage.

lundi 8 février 2010

Le paradoxe du Camarade


同志们, 你们好! (*)
  
Ce salut martial, inscrit dans la légende d’une portion de leur histoire, sort graduellement de la vie des Chinois, tout comme une image de film s’efface de la rétine dès qu’elle n’est plus répétée un nombre suffisant de fois. Quelle vanité peut résister au temps, alors que celle qui entourait cette formule d’un maillage logique à toute épreuve, ambitionnait de faire bouger la planète de son axe immuable ?
  
  
Il existe chez ce peuple une faculté plus flexible que la résilience, lui permettant de surmonter les calamités à la manière de ces herbes de prairie qui se redressent dans la trace des pas qui les écrasent. Soumis depuis des siècles à des régimes dont la rigidité a eu pour seul mérite de maintenir la cohésion nationale, il s’est forgé la croyance en l’immutabilité des choses, tout en favorisant l’éclosion d’une pensée où l’irrationnel prépare sans surprise à l’inconcevable.
Le paradoxe est le terreau fertile d’une Chine qui ne finira jamais d’étonner ceux qui en sont tenus éloignés par l’inertie de leurs convictions. De même qu’elle a fini par absorber les peuples venus l’envahir, il faut se laisser couler dans cette masse gigantesque pour trouver les courants porteurs qui vont en révéler le sens.
Alors, après tout, pourquoi pas un ultime :
   
同志们, 你们好! (*)
                
(*)"Tóngzhìmen, nĩmen hão !": "Camarades, bonjour !". 

mardi 2 février 2010

Dans les dunes du rêve

    
La toile fait 43 sur 38 centimètres. Elle est entourée d’un cadre en bois doré d’une largeur de 5,5 centimètres. Le sujet représente une scène de genre historique ayant pour décor un hameau enfoncé dans les dunes bordant la Mer du Nord.
Le ciel bleu pâle est traversé par des nuages gris et roses, vaporeux et agiles, chassés par cet incessant vent d’ouest. Le regard est attiré, au tiers inférieur, par un puits - ou peut-être mieux, un bassin – contre lequel est appuyée une femme vêtue d’un costume du XVIIIe siècle, de face, en conversation avec une autre, que l’on ne voit que de dos. Une troisième, à leur gauche, les observe depuis la porte d’une maison basse - ou alors est-elle en train de suivre le geste d’un jeune garçon posant un seau à proximité des deux autres.
  
  
Deux poules au plumage foncé sont occupées à picorer à quelque distance devant la mère et son fils ; leur parenté est une option que je prends. A l’opposé, donc à droite du groupe, se trouve une maison de style identique : aux murs de l’une et de l’autre ont été suspendus des filets de pêche à faire sécher ou à réparer. Il devrait y avoir encore une palissade dressée à mi-hauteur, et courant d’une maison à l’autre, soit pour barrer le passage aux intrus, soit pour contenir le sable envahissant, mais elle n’apparaît pas nettement sous cet éclairage insuffisant. Une sorte de tranchée pratiquée dans le sol descend en biais vers la droite. A son origine, on relève la présence de ce qui ressemble à une bassine cylindrique dont la fonction reste mystérieuse. Alors qu’en contrebas, deux planches parallèles ont été posées pour passer cet obstacle malaisé à franchir. On peut encore signaler les notes claires de linge mis à sécher ici et là, puis la forme d’un panier en osier renversé et d’une barrique debout : probablement une caque destinée à conserver le hareng.

Au point de fuite de la perspective, logé au centre de la surface peinte pour assurer un climat serein à l’ensemble, une troisième bâtisse au toit de chaumes, flanquée d’une large cheminée rectangulaire, est à moitié dissimulée par une haute dune sur laquelle court une végétation rase, telle qu’on peut en voir habituellement sur ce type de terrain. A part ça, on distingue encore la trace semi-circulaire qu’aurait laissée une carriole à deux roues pour atteindre cet endroit isolé. Outre le ciel, la couleur dominante est le beige, légèrement grisé, avec quelques atomes de Terre de Sienne brûlée pour donner du relief et, par endroit, une impression fugitive d’applications olivâtres pour rappeler à la vie les graminées perdues dans ce monde minéral.
  
L’auteur du tableau est un nommé Vermeer - sans rapport avec celui de Delft – et, en l’absence de titre, l’oeuvre a été décrite comme suit dans le catalogue : "Keuvelende vrouwen op erf, op de achterground een duinpartij" : on peut la rattacher à l’Ecole hollandaise, classique et éternelle. Accroché au mur, à moins de deux mètres de la table où j’écris ce texte, le tableau a été acheté lors d’une vente en Amsterdam, à une période faste sur le plan pécuniaire, et figure en bonne place parmi les lucarnes proposant l’évasion au quotidien ; bien avant la télévision.
  
Rêve ou souvenir ? La distinction est marginale, car la fonction est identique : le rêve est un moyen d’améliorer l’instant présent, alors que le souvenir en est un autre pour enjoliver le passé.