A toi qui est devenu mon héros, après l’avoir été pour toi lorsque tu étais tout petit. Ce papa qui n’ose toujours pas demander si notre si longue séparation a pu te faire du mal ou installer un écart irrémédiable entre nous. Le rite dérisoire du téléphone dominical pendant vingt ans avait-il un sens, même s’il était pour moi un recours désespéré pour éviter le naufrage ? Il y a énormément de pudeur entre nous: puisse au moins cela passer pour du respect.
Et pourquoi ne pas maintenir le mystère de ce papa un peu plus vieux que la moyenne et qui a fait des choses insolites dans son bel âge: voyager, vivre en Afrique, qui savait dessiner ou pouvait te raconter inlassablement l’histoire de la vie sur Terre en insistant, selon ta curiosité, sur les dinosaures, les Romains ou les chevaliers.
Un papa qui n’a jamais eu la patience de prendre le temps nécessaire de décrocher le jackpot et qui t’initiait au golf quand il en avait la possibilité, ou t’emmenait en virée à Saint-Tropez une année faste. Ou on restait à la maison à construire des Lego de plus en plus compliqués. On visitait aussi la famille, tellement européenne dans la généralité de ses particularités. Ce qui a vite élargi ton horizon à la planète tout entière: à l’âge de 15 ans, l’idée d’avoir déjà posé le pied dans 30 pays différents te mettait en joie.
Ta mère et moi entretenons la meilleure estime, donnant l’illusion que les nuages du passé sont dissipés. Elle aussi s’étonnait de ce choix de partir au "bout du monde" alors que, disait-elle, j’étais un vestige de l’ancienne Europe, celle des rois et des châteaux. "Justement !" et de lui expliquer que la Chine renaît de ses cendres comme le Phénix de la Cité Interdite, que le pire est à venir sur le Vieux Continent et qu’y survivre sous le regard éteint de valeurs mortes ne peut mener qu’à une folie très ordinaire.
Je vais donc continuer à imaginer ta présence, où que tu sois, comme je le fais depuis ta naissance.
Ca ne pourrait être autrement.
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