vendredi 5 mars 2010

Saint Jorge Luis Borges, priez pour nous..

  
Le vent du nord-est porte en ses flancs des odeurs de bétail et de fleurs séchées, odeurs arrachées à la campagne avant d’être semées aux quatre coins de la ville, faisant venir des envies de liberté aux gens enchâssés dans ses murs.
Parfois, la rondeur d’une lune arrogante s’accouple au vent pour les importuner jusqu’au fond de leurs réduits, comme l’œil d’une idole despotique exigeant son tribut de fantasmes. Jusque-là prisonnière des mots, l’imagination des reclus gagne en consistance et en originalité à mesure que l’excitation des nerfs s’approche du bouillonnement. Il n’est pas impossible alors, de voir changer attitudes et comportements, même si chacun est en position de redouter la dérive, avec la volonté de s’y opposer de toute la force de ses convictions.
D’abord limités à l’apparence de fumerolles échappées d’un volcan qu’une malédiction a ranimé, des idées vont se joindre à d’autres idées, s’amoncelant au-dessus des toits en une épaisse chimère pour former le couvercle d’un chaudron infernal. Fuyant la menace, je m’enferme dans la bibliothèque, confiant à la propriété occulte des livres de me servir de rempart contre les émanations toxiques de milliers d’intellects échauffés, envahissantes comme les scories d’un nouveau Pompéi.
Depuis l’apparition de l’espèce humaine, y aurait-il encore une rêve non formé ou un désir non exprimé et, depuis Gutenberg, tout n’a-t-il pas été imprimé ? Cette forteresse littéraire peut absorber toutes les représentations mentales retombant en micro-organismes pathogènes, les dissoudre, les pomper, les effacer. Toutes, en principe.
Sauf celles auxquelles je crains de manière superstitieuse ne pouvoir échapper : il s’agit du livre que je porte en moi en projet depuis plusieurs années, et dont seules quelques notes liminaires ont été écrites. Thème assez étrange, en vérité, d’un monde imaginaire où les idées peuvent être nuisibles à la santé, lorsqu’elles émanent d’esprits torturés par leur propre existence, et qu’un poète parvient à faire – c’est une image – éliminer ou "réabsorber" par les livres mêmes dont elles n’auraient jamais dû échapper. Plus concrètement, le récit devrait débuter par des phrases incitant volontairement au désarroi par leurs tournures surprenantes, comme : "Le vent du nord-est porte en ses flancs des odeurs de bétail et de fleurs séchées, odeurs arrachées à la campagne avant d’être semées aux quatre coins de la ville, faisant venir des envies de liberté aux gens enchâssés dans ses murs"…

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